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"Je Suis Là"
Emmanuelle Soler, chroniqueuse à Radio Aligre et Radio Agora
"Je Suis Là" est un spectacle sur la confiance qui fait surgir toute la poésie de l'enfance.
Accueillir des enfants quand ils viennent au spectacle pose toujours question. Accueillir des enfants de moins de 2 ans quand ils viennent au spectacle pose doublement question. Parce que, d'une part, le bébé ne peut comprendre avec des mots quand on lui explique comment être un spectateur (à supposer qu’on puisse expliquer à quiconque comment être un « bon » spectateur ?). Et parce que, d'autre part, il s'agit avant tout de s'adresser aux parents qui accompagnent les tout petits - tâche bien difficile car bien souvent il s'agit de la première sortie avec leur bébé ! Accompagner un bébé au spectacle ne va en effet pas de soi : à quel moment intervenir si l’enfant bouge ? Quelle est ma place en tant qu’accompagnateur ?
Dans le spectacle « Je suis là », ce sont les artistes elles-mêmes qui accueillent les enfants et les parents. Les personnes du théâtre ont fait enlever les chaussures et les manteaux aux enfants et aux grands et elles ont invité le public à s’installer dans un espace confortable et chaleureux. Peu avant de rentrer dans la salle de spectacle, les artistes rejoignent le public et parlent aux tous-petits et aux grands en leur chuchotant à l’oreille. Elles prennent le temps d'accueillir tout le monde, parents, enfants, bébés, assistantes maternelles, programmateurs, journalistes. Elles ont avec elles quelques petits instruments de musique et égrainent des notes de musique toutes douces en même temps qu’elles donnent la consigne de base aux parents « laissez le réagir, laissez-vous aller, laissez le bouger dans l’espace, laissez le s’exprimer »… Il est rare que les artistes prennent en charge eux-même l'accueil des spectateurs. L’accueil, c’est en général le souci du théâtre. Mais là, la consigne est trop importante pour le bon déroulé des choses. Surtout, le spectacle ne peut se faire que si la confiance est posée dès le début.
PY Lacote
Confiance ! le terme est dit. Faire confiance au spectacle comme une expérience artistique. Faire confiance à l’enfant et à sa capacité innée à s’ouvrir à l’émotion, capacité que nous adultes nous avons souvent oublié ou perdu. L’enfant est un spectateur tout naturel. Combien de pages ont-elles été écrites sur l’éducation au spectacle? Comment devenir un bon spectateur? Comment apprendre à l’enfant à être un spectateur ? Ces questions combien de fois les entend-t-on ?! Or nous pensons que l’enfant est par nature un spectateur émerveillé. Peut-être même que seul l’enfant est spectateur (et artiste). Peut-être même que c’est l’enfant qui doit nous apprendre à devenir spectateur, et non l’inverse !
« Je suis là » est une expérience de spectacle autant qu’un spectacle. Les enfants sont invités à participer au spectacle par leur seule présence. L’espace de l’artiste et du spectateur se confondent. Le spectacle se déroule au milieu des spectateurs. Les spectateurs pouvant se placer où ils le souhaitent.
Les adultes qui les accompagnent sont donc invités à regarder le spectacle tout autant que les enfants, à regarder l’enfant avec un oeil de spectateur qui lâche prise. Finalement, ce sont les adultes et non les enfants qui doivent être éduqués au spectacle. Avant d’entrer, il est dit aux adultes « laissez le s’exprimer », « faites confiance », « regardez votre enfant autrement », « regardez le monde avec un oeil différent, nettoyé de tous les soucis du quotidien », soit, en quelques mots : « soyez un spectateur (de l’enfance) » !
« Je suis là » nous fait regarder les enfants d’un autre oeil. Quand il s’agit de son propre enfant, qu’on amène pour la première fois au spectacle, l’expérience prend encore plus sens. « Je suis là » fait surgir la poésie de l’enfance et c’est de cette poésie dont nous sommes spectateurs.
Jamais peut-être un spectacle n’a été aussi loin dans cette recherche : comment faire jaillir la poésie de l’enfance ? Comment la donner en spectacle sans que l’enfant soit en « représentation »… mais tout simplement lui-même. En ce sens, l’âge est essentiel : le spectacle après 2 ans n’est plus le même, car après 2 ans les enfants vont penser à ce qu’ils font, vont demander aux adultes qui les accompagnent de les regarder, vont vouloir « faire spectacle », se re-présenter. Avant 2 ans l’enfant est dans une spontanéité naturelle, un émerveillement joyeux, il est là, ça lui suffit, il ne cherche pas à montrer quoi que ce soit, il n’est pas dans la re-présentation, il est dans la simple et évidente présence au monde.
« Je suis là » bouscule tous nos préjugés d’adultes parce qu’il démontre concrètement, plus encore que toutes les pages écrites en pédopsychologie, que le fait même de faire confiance à l’enfant lui ouvre des possibles qu’on n’avait pas imaginé jusque-là...
Que le fait de poser la confiance au départ, et ce dès l’accueil de l’enfant, ouvre des possibilités infinies à l’enfant et à tous les enfants. Combien de parents à la sortie du spectacle disent qu’ils n’ont pas reconnu leur tout petit ? On ne les compte plus !
Confiance ! C’est décidément le terme-clé ! Confiance ou courage qui vient de la conscience qu’on a de sa valeur, de sa présence au monde. « Je suis là » est un spectacle sur la confiance qui fait surgir toute la poésie de l’enfance. « Je suis là » est un spectacle qui met au centre l’enfant, et qui renverse tout : regardez l’enfant, c’est lui qui vous apprendra à être spectateur de la poésie !
Confiance, étymologiquement le terme suppose le fait de « se fier avec »… « Je suis là », en posant dès l’accueil la confiance nécessaire qu’il peut y avoir entre nous tous, montre que nous ne pouvons être spectateurs que parce que nous sommes là, avec tout ce et tous ceux qui nous entourent, dans une conscience commune, émerveillée et poétique, et ensemble !
PY Lacote